Milankovitch : l'homme qui a résolu l'égnime de l'âge de glace

La discussion sur l'origine des variations passées du climat ne s'arrête pas avec Arrhenius. Et après ce long article consacré à ceux qui tentent de les expliquer par la concentration en dioxyde de carbone dans l'atmosphère, il est temps de laisser la parole à la partie adverse : les tenants de la théorie astronomique des climats. S'il ne l'a pas inventé, un homme a particulièrement laissé sa marque dans ce domaine : l'ingénieur serbe Milutin Milanković.


Un scientifique dans la tourmente des Balkans


Milankovitch naît en 1879 dans un village situé sur la frontière actuelle entre la Croatie (qui bénéficie alors d'une demi-autonomie dans l'empire austro-hongrois) et la Serbie. Dans la mosaïque ethnique que sont les balkans, Milankovitch est serbe mais voit le jour du coté croate de la frontière, le détail va avoir son importance...
Issu d'une famille relativement aisée mais de santé fragile, Milankovitch passe sa scolarité partiellement à domicile. A 17 ans, il s'installe à Vienne pour poursuivre des études d'ingénieur. Après son service militaire, il s'endette le temps d'obtenir son doctorat. En 1904, il soutient une thèse de génie civil.

L'ingénieur serbe Milutin Milankovitch a expliqué les périodes glaciaires par la variation des paramètre astronomiques de la terre
Milankovitch entame une belle carrière dans la construction. Il réalise ponts et barrages partout dans l'empire austro-hongrois, publie abondamment et dépose 6 brevets. Mais, peut-être par élan nationaliste, il abandonne cette profession et Vienne en 1909 pour la chaire de mathématique de l'Université de Belgrade. Il y restera 46 ans.
C'est là qu'il commence à s'intéresser au climat et plus particulièrement, comme pour presque tous ces prédécesseurs, à l'explication des périodes glaciaires. Reprenant les travaux existants, il constate qu'il s'agit le plus souvent de raisonnements qualitatifs laissant peu de place à l'analyse mathématique. Le jeune ingénieur entreprend alors de donner une base rigoureuse à l'étude du climat.
Son but est de parvenir à un modèle mathématique liant le climat terrestre à l'ensoleillement et donc à la position de la terre par rapport au soleil. Objectif extrêmement ambitieux, qui, il l'espère, "permettra la reconstruction des climats passés de la terre, et aussi la prévision des climats futurs et nous fournira les première données fiables sur le climat des autres planètes". Il publie son premier article sur le sujet, intitulé Contribution à la théorie mathématique du climat, en 1912.

C'est ici que, comme des millions d'hommes et de femmes, le jeune scientifique est rattrapé par l'histoire. Le 14 juin 1914, Milankovitch se marie et part pour sa lune de miel dans son village natal. Mais le 28 juin, l'archiduc François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo par un nationaliste serbe, déclenchant la crise de juillet et précipitant l'Europe vers la Grande Guerre.
Milankovitch qui est serbe et se trouve en territoire austro-hongrois est aussitôt arrêté et emprisonné à la forteresse d'Osijek. Dans les quelques affaires qu'il a pu emporter pour tromper l'ennui : son travail sur le climat, du papier et un stylo... Et voici comment une des découvertes les plus importantes de l'histoire de la climatologie va mûrir dans un cachot.

Pendant ce temps, sa femme se rend à Vienne pour plaider la cause du jeune savant. Elle obtient sa libération, à condition qu'ils s'exilent à Budapest. Milankovitch y trouve encore l'occasion de poursuivre ses travaux : en 1916, il publie une étude du climat de Mars. Il calcule aussi la température de Vénus, Mercure et de la lune.

En 1919, Milankovitch revient à Belgrade et reprend sa carrière universitaire. L'année suivante, il publie en français un livre récapitulant ses recherches sur le climat : Théorie mathématique des phénomènes thermiques produits par la radiation solaire.
Comme dans le cas d'Arrhenius, il faut souligner les dimensions herculéennes de ce travail à une époque où l'informatique n'existe pas encore : en 1923, il faut 100 jours de calculs à Milankovitch pour dessiner la courbe d'insolation sur les 650.000 dernière années ! Mais au terme de ces efforts l'objectif est atteint : les courbes font apparaître une nette corrélation entre l'insolation aux moyennes latitudes de l'hémisphère nord et les périodes glaciaires.

Une des courbes d'insolation publiées par Milankovitch en 1924

Dans les années 1930, Milankovitch abandonne un temps le climat pour s'intéresser à la dérive des continents et au paléomagnétisme. Il y revient en 1939 lorsqu'il entreprend de rassembler son travail. Celui-ci parait dans un livre publié en 1941.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale et l'occupation de la Serbie, Milankovitch se fait discret et travaille sur une biographie, qui parait en 1952. Il consacre les dernières années de sa vie à la vulgarisation et à l'histoire de science.

Milankovitch meurt d'une attaque en 1958.


La théorie astronomique du climat


Parmi les nombreux facteurs qui déterminent le climat terrestre, les paramètres astronomiques sont probablement les mieux maîtrisés et on le doit en grande partie à l'obstination de Milankovitch.
L'orbite de la terre n'est pas tout à fait régulière car elle subit, outre l'attraction du soleil, celle des autres planètes du système solaire et de la Lune. En se déformant, l'orbite terrestre modifie la façon dont le rayonnement solaire reçu par la terre est réparti dans l'espace et dans le temps, ce qui a une influence sur le climat.

Les paramètres de l'orbite terrestre, aussi appelés paramètres de Milankovitch, sont :
  • L'obliquité : l'obliquité de la Terre est l'inclinaison de la Terre par rapport au plan de l'ellipse. Cet angle entre son axe de rotation et un axe perpendiculaire au plan de son orbite est noté ε. Il est actuellement de 23°27 et varie de 22° à 24°30 environ avec une période de 41.000 ans. Ce paramètre détermine la position des tropiques (leur latitude est égale à l'obliquité) et les contrastes saisonniers (avec une obliquité nulle, il n'y aurait pas de saisons).
  • L'excentricité : l'orbite terrestre décrit une ellipse dont le soleil est un des foyer, selon les périodes cette ellipse peut être très proche d'un cercle (l'excentricité notée e, s'approche alors de zéro) ou légèrement plus aplatie (jusqu'à e=0.058). L'excentricité terrestre varie selon plusieurs cycles dont la période se chiffre en centaine de milliers d'année, actuellement elle est de 0.017. Si l'excentricité est nulle, toutes les saisons ont la même durée, lorsque l'excentricité est élevée certaines saisons sont plus longues.
  • La précession : l'axe de rotation de la Terre ne reste pas parallèle à lui-même, il décrit un cône dans le sens des aiguilles d'une montre et effectue un tour complet en 26.000 ans. La précession détermine la position de la terre lors des équinoxes, lorsque l'excentricité est importante, c'est la précession qui détermine quelles saisons vont durer plus longtemps.

A partir de ces trois paramètres, Milankovitch calcule que les moyennes latitudes de l'hémisphère nord ont connu des minimums d'insolation il y a 23.000, 72.000 et 116.000 ans. Ceux-ci ont pu permettre à la neige accumulée pendant l'hiver de ne pas fondre en été, enclenchant une baisse de l'albédo terrestre et un refroidissement. Dans les années 70, les progrès de la paléoclimatologie ont permis de confirmer que les paramètres orbitaux et les paramètres climatiques présentent les mêmes périodicités.
Le modèle de Milankovitch permet de situer l'apparition d'âges glaciaires dans le passé comme dans le futur. On peut ainsi prévoir un nouveau maximum glaciaire dans 23.000 ans - si bien entendu les conditions restaient inchangées.

En effet, il est important de comprendre que, si les paramètres astronomiques semblent avoir été le facteur déterminant pour le déclenchement des périodes glaciaires à l'ère quaternaire, ils ne déterminent pas seuls le climat terrestre. Si c'était le cas, les périodes glaciaires devraient alterner entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud, or elles ont lieu simultanément dans les deux hémisphères. Pour une raison qui n'est pas encore totalement expliquée, l'hémisphère nord est capable "d'imposer" ses périodes glaciaires au sud.
De la même façon les paramètres astronomique ne peuvent pas expliquer des fluctuations rapides du climat comme les cycles de Dansgaard-Oeschger (dont je vous ai parlé dans une précédente série d'été).

Bref, les travaux de Milankovitch ne doivent pas faire oublier les mises en garde d'Arrhenius. D'autant que, à peu près à la même époque, l'ingénieur britannique Guy Callendar met pour la première fois en évidence une augmentation de la température terrestre depuis le début de l'ère industrielle.

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Aventuriers, rêveurs, révolutionnaires... du XVIIIe siècle au début du XXe, l'histoire scientifique du climat a été écrite par des personnalités hautes en couleur. Retrouvez ici l'histoire des autres pionniers de la discipline :
  1. Montesquieu : l'Esprit des lois et la théorie des climats
  2. Buffon : refroidissement climatique et géoingénierie avant l'heure
  3. Saussure : l'aube de la paléoclimatologie
  4. Fourier : l'invention de l'effet de serre
  5. Foote : la démonstration de l'effet de serre à la portée de tous
  6. Tyndall : la première spectroscopie des gaz à effet de serre
  7. Arrhenius, Hogböm et Ekholm : le clan des suédois
  8. Milankovitch : la solution à l'égnime de l'âge de glace
  9. Callendar : l'homme qui a vu le réchauffement


Publié le 22 août 2017 par Thibault Laconde


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