Fiche de lecture : "L'industrie du mensonge - relations publiques, lobbying et démocratie" de John Stauber et Sheldon Rampton

Energie et developpement - l'industrie du mensonge - relations publiques, lobbying et démocratie de Rampton et Stauber
Nul ne s'étonne plus aujourd'hui de voir un député européen exercer comme avocat auprès des industries qu'il est sensé réglementer, une rapide recherche internet montre que le terme de lobbying a largement perdu sa connotation négative pour devenir synonyme de persuasion efficace, les techniques qui étaient réservées aux grandes industries toxiques se sont "démocratisées" et institutionnalisées.
C'est peu dire qu'entre la publication de ce livre, en 1995 aux États-Unis, et sa réédition française en 2012, "l'industrie du mensonge" qu'il décrit a conquis ce coté-ci de l'Atlantique - cette édition est d'ailleurs complétée par de nombreux exemples européens. S'il ne fallait qu'une raison de se plonger dans le livre de John Stauber et Sheldon Rampton celle-ci devrait suffire.

Naissance et envol des lobbys

Les auteurs font remonter les origines de l'industrie aux bateleurs du XIXe siècle dont le bagou et surtout la naïveté de leurs contemporains assuraient les revenus. Dans les années 1830, la multiplication des journaux populaires à bas prix fait naitre la publicité déguisée, puis les premiers attachés de presse, chargés de placer des articles pour leurs commanditaires. Les maitres mots de l'époque : "bouteilles, blondes et bakchich".
Vers la fin du siècle cependant, les entreprises se rendent comptent qu'il ne suffit pas de faire parler de soi, il faut contrôler l'opinion, se construire une image... Les pionniers s'appellent Ivy Lee, qui a eu la rude tache de rendre sympathique les "barons voleurs", George Creel, chargé de vendre la l'entrée dans la Grande Guerre aux américains, ou Edward Bernays, neveu de Freud et inventeur de la "fabrication du consentement".


Après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les lobbyistes vont connaître un premier âge d'or. Le livre détaille les faits d'arme de l'industrie des relations publiques au profit de leurs clients les plus iconiques : l'industrie du tabac, l'énergie nucléaire, les station d'épuration et les dictatures sud-américaines.

La boite à outil du lobbyiste


La seconde partie du livre présente les méthodes des lobbyistes.

Le montage de vraies opérations secrètes en fait partie, du simple espionnage de militants jusqu'à la manipulation pure et simple comme lorsque Nestlé parvint après plusieurs années d'effort à diviser la coalition de 700 organisations civiles et religieuses qui contestaient ses pratiques commerciales dans les pays pauvres. Rafael Pagan et Jack Mongoven qui ont mené cette dernière opération ont ensuite mis leurs talent au service de Shell pour qui ils créèrent de toute pièce un regroupement d'ecclésiastiques sud-africains. US Surgical, une entreprise qui avait recours aux tests sur les animaux alla jusqu'à organiser un attentat contre son PDG pour discréditer ses opposants !
Energie et developpement - opération de lobbying et relation publique de Shell contre les appels au boycott
Affiche appelant au boycott de Shell pour ses liens avec
l'Afrique du Sud pendant l'Apartheid

Une stratégie plus conventionnelle consiste à "diviser et récupérer". Pour cela, le cabinet de conseil MBD créa un modèle qui est encore utilisé aujourd'hui. Il divise les militants en 3 catégories : révolutionnaires, idéalistes et opportunistes. Tout l'art consiste alors à isoler les révolutionnaires, flatter les idéalistes et récupérer les opportunistes. Cette doctrine fournit une grille de lecture intéressante pour comprendre les initiatives type "social business" (flatter les idéalistes) et ces étranges partenariats entre entreprises et ONG (récupérer les opportunistes).

Une solution alternative consiste à créer soi-même des associations bidons avec l'aide du marketing (faire figurer des termes rassurants et positif dans le nom, même s'ils sont à l'opposé des objectifs recherchés) et des techniques de communications modernes (standards téléphoniques et maintenant internet qui permettent de mobiliser très rapidement et de donner l'impression d'un mouvement spontané et massif). Certains cabinet disposent même de professionnels capables de se fondre dans une population et d'organiser efficacement ces mouvements "spontanés". C'est grâce a ce genre de méthodes que les assureurs ont réussi à faire capoter le projet d'assurance santé proposé par Bill Clinton. Dans l'actualité plus récente, on ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre cette technique et la mobilisation des fameux "bonnets rouges".

Dernière ficelle, celle qui consiste à profiter de la paresse, de la vénalité ou de la surcharge de travail des journalistes pour rédiger l'information à leur place. Le principe est simple : fournissez à une rédaction tout ce qu'il faut pour faire une sujet (image, interview, etc.) voire le sujet tout près, et bien souvent vous le verrez le lendemain à l'antenne ou dans votre journal. Une variante de cette stratégie consiste à entretenir un pool "d'experts" que vous mettrez gracieusement à disposition des journaux qui veulent un avis éclairé sur une question quelconque. Loin de s'opposer aux lobbys, les médias sont sa "poule au œufs d'or" (dixit Kirk Hallahan) puisqu'en en reprenant servilement les thèses qui leur sont fournies ils leur donne une respectabilité et une aura d'objectivité.

Il n'y a pas de bon lobbying


D'une manière générale, ce qui définit le lobbying c'est la capacité à faire porter par d'autres son propre discours tout en disparaissant soi-même. Selon les cas cet autre peut être une organisation de protection de l'environnement, un homme politique, un groupement de citoyens, un journaliste... peu importe, ce qui compte c'est que vos mots soient dans la bouche d'un autre. A ce titre le lobbying tend naturellement à la manipulation.

La thèse des auteurs est que le lobbying doit être banni en toute circonstance. Ils mettent en garde contre la tentation d'utiliser ces techniques pour une bonne cause. Ce serait justifier des méthodes inacceptables, et de toute façon les différences de budget entre les ONG et les entreprises sont telles (ont l'a encore vu récemment) que la bataille serait perdue d'avance.
Quant au citoyen, leur devoir est de rester vigilant. Mais est-ce suffisant ? Les auteurs ne semblent pas s'inquiéter des liens entre lobbying et démocratie, il voit le premier comme une perversion de la seconde qu'il serait possible d'éradiquer. Mais à l'image des rats dans le temple, est-il encore possible de chasser les lobbyistes de nos assemblées sans les détruire ?

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